"Contre le port des signes convictionnels, vite la laïcité de l’État"

"Contre le port des signes convictionnels, vite la laïcité de l’État"

 

Le ministre (Défi, ex-FDF) bruxellois de l’Emploi s’insurge après la décision d’Actiris de ne pas aller en appel contre une décision judiciaire qui empêche l’administration d’interdire le port de signes convictionnels (ici, le port   du voile).  Il veut que l’on modifie   la Constitution pour passer   de la neutralité à la laïcité.

Il faut y travailler « sereinement » mais « sans plus traîner». A quoi ? A l’introduction de la laïcité de l’Etat dans la Constitution, laquelle consacre (seulement) la neutralité à l’heure actuelle. Ce qui n’est pas la même chose. Car, à entendre Didier Gosuin, ce concept de neutralité, introduit dans notre texte fondamental en 1830, alors fruit d’un compromis entre les courants catholique conservateur et libéral progressiste qui dominaient en Belgique, est « flou », et installe comme une « zone grise » qui ne permet pas de se lever comme il le faudrait contre les (risques de) radicalisme « et toutes les tentations impérialistes religieuses et convictionnelles ».

En l’occurrence, le ministre (Défi, ex-FDF) bruxellois de l’Emploi et de l’Economie enrage après le sort fait à une disposition du règlement de travail d’Actiris (l’Office régional bruxellois de l’emploi) stipulant que les membres du personnel ne peuvent afficher « leurs préférences religieuses, politiques ou philosophiques ni dans leur tenue vestimentaire, ni dans leur comportement » : opérant sur la base d’une plainte déposée par trois employées de l’organisme, le tribunal du travail de Bruxelles avait ordonné, il y a un mois, de biffer la mention, et on en restera là en gros, Actiris ayant renoncé, jeudi, à contester la décision en appel. Conclusion : une douzaine de personnes (sur un millier d’agents) portent le voile à Actiris. Didier Gosuin : « Je n’accepte pas. » 

Reprenons… « Je saisis l’argumentation de ceux – à commencer par le juge – qui refusent d’accepter le règlement de travail, ils font référence au principe de la neutralité de l’Etat, lequel consiste en la reconnaissance de la pluralité des religions dans l’espace sociétal, qui peut elle-même être interprétée comme l’acceptation d’accommodements raisonnables comme on les appelle, et la volonté de ne pas restreindre la liberté religieuse, pas même dans la fonction publique. » Cela étant, « je n’accepte pas, car c’est, pour moi, une vision insuffisante, impuissante à contrer la montée des impérialismes religieux dans l’espace public, a fortiori dans la fonction publique ».

Didier Gosuin ramasse son option d’une formule : « L’Etat, la Région, la Commune, ne sont pas contre les religions. L’Etat, la Région, la Commune n’ont pas de religion. » Il prolonge : « Dès lors, les personnes qui travaillent dans la fonction publique, lorsqu’elles sont en service, n’ont pas de religion, a fortiori elles ne peuvent pas afficher de signes convictionnels. »

Cette option alternative à la neutralité porte un nom : la laïcité de l’Etat. Elle « simplifie, clarifie, permet de sortir de l’ambiguïté, et protège tous les individus contre toute tentation de mainmise cléricale ou convictionnelle de tous types ». Plus : « Elle est à même de rassembler tout le monde autour de valeurs communes, elle rassure, elle peut faire baisser les tensions communautaristes.»

Seule solution, donc : modifier la Constitution pour substituer le principe de laïcité à celui de neutralité. On est loin du compte : il faudra les deux tiers des voix au Parlement fédéral, cela alors que le MR veut juste une neutralité améliorée (pas la laïcité politique, donc), le PS est partagé (il n’a pas tranché, même si Laurette Onkelinx, dans ces colonnes, a dit qu’elle était partante), le CDH et le CD&V n’y sont pas favorables, la Flandre en général, conservatrice, freine des quatre fers… Bref, il faudra convaincre du monde.

Reste que Didier Gosuin ne voit « pas d’autre solution». Il faut « vider le problème », dit-il. Lever « les incertitudes ». Aller au bout des choses. Par la laïcité, donc. Didier Gosuin conçoit, au fond, qu’Actiris ait pu renoncer à aller en appel (redoutant une confirmation de l’arrêt qui aurait enterré toute possibilité d’adopter jamais un règlement intérieur interdisant le port de signes religieux), il n’est pas convaincu non plus qu’une ordonnance du gouvernement régional pourrait renverser la vapeur (dont une plainte, relayée par un juge récalcitrant, se référant lui aussi à notre Constitution, pourrait avoir raison), et préconise donc, on l’a dit, de générer un débat sans tarder, « pourquoi pas au sein d’une commission spéciale » afin de « tenter d’aboutir dans la législature, et de mettre en œuvre la modification constitutionnelle dans la suivante».

Pour cela, « il faut oser un débat impératif mais serein, sans objectifs partisans, sans dénigrer quiconque, stigmatiser, sans amalgames, je pense à Denis Ducarme malheureusement (lire ci-contre) , sans s’enfoncer dans la polémique… »

Pure fiction, douce illusion ? « La volonté de réduire les radicalismes et les cléricalismes, c’est, me semble-t-il, une base de travail sur laquelle nous pouvons nous entendre pour ouvrir le débat. » Didier Gosuin conclut : « Je souffre que l’on soit entre deux chaises dans ce pays. Voyez ce qui arrive. C’est la responsabilité des politiques de garantir la laïcité de l’Etat. » Une bouteille à la mer.

David Coppi, Le Soir, 12 décembre 2015, page 6